Investir ou spéculer ?
« Un investissement est une opération financière qui, après analyse approfondie, garantit le capital investi et promet un rendement satisfaisant. Les opérations qui ne respectent pas ces exigences sont dites spéculatives ».
Si Benjamin Graham a essayé tant bien que mal de mettre des mots sur ce qu’est un investissement, en opposition à une opération spéculative, c’est parce que nombre d’acteurs des marchés se m’éprenaient. Et c’est encore le cas aujourd’hui.
J’espère que les différentes notions abordées dans cet article vous amèneront à réfléchir sur votre stratégie, reconsidérer votre propre définition de l’investissement et parfois même la remettre en question.
Investisseur ou spéculateur ?
Il est important de noter que l’utilisation du terme « investir » peut être amenée à changer avec les années, la conjoncture économique et la personne qui l’emploie.
Alors il est vrai que ce n’est pas forcement évident de faire la distinction, d’autant plus qu’il y a toujours une part spéculative dans un investissement. Il est d’ailleurs possible qu’une opération financière soit qualifiée d’investissement pendant une période puis prendre une nature spéculative de plus en plus marquée avec les années. Mais aujourd’hui nous devons, comme le faisait Graham à l’époque, éviter que nos lecteurs utilisent le terme d’investissement à tout va pour qualifier tout ce qui concerne la Bourse ou l’immobilier.
Si demain vous vendez des actions Total à découvert parce que vous êtes convaincu de pouvoir les racheter à 23€ dans quelques jours, s’agit t’il d’un investissement ou de spéculation ? Et si c’est Warren Buffet qui réalise cette même opération, après avoir défini les facteurs, acteurs et chiffres clés concernant l’offre et la demande sur le pétrole, après avoir calculé avec son équipe d’analystes différentes estimations de la valeur intrinsèque de la société, intégré un coefficient de sécurité à ses estimations et passé son ordre, s’agit t’il toujours de spéculation ?
Vous voyez maintenant à quel point le débat est riche. Mais l’objectif ici n’est pas d’attribuer une réponse tranchée, c’est d’ailleurs impossible. Je souhaite plutôt vous faire toucher du doigt les différents aspects caractérisant un investissement ! Investissements qui vont réellement vous enrichir, puisqu’il est vrai qu’en spéculant, c’est surtout votre broker qui se frottera les mains.
L’investisseur est-il téméraire ?
Si vous me suivez, vous êtes normalement capable de répondre à cette question ou au minimum saisir la réflexion qu’il y a derrière. La notion de risque sépare évidemment les deux concepts d’investissement et de spéculation.
Alors qu’un investisseur fera tout son possible pour minimiser le risque de son opération, un spéculateur sera lui prêt à prendre ce risque pour s’enrichir de manière ponctuelle. L’investisseur est donc loin d’être le plus téméraire des deux. Il est celui qui procède à une analyse sérieuse de l’entreprise et de ses activités. Il se protège constamment contre de lourdes pertes et ne s’engage dans un projet ou bien une opération uniquement si ce dernier est chiffrable et rentable. Le fameux Go/No go.
En d’autres termes, un investisseur estime la valeur d’une entreprise à un temps t en intégrant ses perspectives de développement et en achète les actions uniquement si la valeur du marché est plus faible. Le spéculateur quant à lui fait un pari à la hausse car il se doute qu’un autre spéculateur sera prêt à payer encore plus, la tendance étant haussière à court terme. Comme le dit si bien Benjamin Graham dans son livre « L’investisseur intelligent » : les investisseurs jugent « le cours d’un titre en fonction de standards de valeur » tandis que « les spéculateurs fondent leurs standards de valeur sur les cours du marché ».
Vous comprenez alors qu’il existe des produits, entreprises ou biens immobiliers sur lesquels il est tout bonnement impossible d’investir, mais uniquement de spéculer. Il n’y a pas de mal à ça, il faut juste en être conscient ! Il est inutile de se mentir à soi-même sur la nature d’une opération. Si vous manquez d’informations, de données ou que ces dernières n’existent tout simplement pas, alors votre argent est placé de manière spéculative. Vous vous basez sur d’autres éléments tels que le bon sens, le flair, l’expérience…
Investir ou spéculer ? Que choisir ?
Ce sont les investissements qui vous permettront de faire fortune. Et cela pour deux raisons : les intérêts cumulés et une psychologie à la portée de tous. Spéculer peut évidemment s’avérer très rémunérateur mais il s’agit de la pire méthode pour construire un empire, dédiez y qu’une faible partie de votre capital. Et cela tout simplement car, comme le fait la française des jeux, Euronext, Wall street et les banques ont « étalonné les probabilités de gains de leurs produits, de telle sorte que ce soit toujours eux qui, in fine, gagnent aux dépens de ceux qui tentent de les battre » et c’est pas moi qui le dit mais bien Jason Zweig, rédacteur senior chez Forbes, qui écrit sur l’investissement depuis 1987. Toute personne qui s’est déjà légèrement intéressé au pricing des produits dérivés savent de quoi il s’agit.
Dans la tendance ou l’anticipation ?
On aborde aujourd’hui un sujet très interessant vous le concevrez. Réfléchir sur ce sujet nous permet de caractériser l’envolée de certains marchés et ne pas se brûler les ailes. Lorsqu’un indice attire les foules et réalise des plus hauts de plus en plus hauts, tout le monde se jette dans la folie de la spéculation. Dans ces situations, l’unique critère qui satisfait ces fous du volants est un marché qui grimpe à court terme. Battre le marché sur deux séances suffit pour qu’ils viennent vers vous se ventant d’avoir eu raison. L’ensemble des stratégies de court terme fonctionne, le day trading se démocratise et tous les particuliers s’improvisent traders. Vous serez alors complètement timbré à leurs yeux si vous osez ne pas vous placer dans la tendance.
Malheureusement (ou heureusement) ces stratégies n’ont aucune chance de perdurer sur le long terme. L’investisseur est un marathonien qui est capable d’attendre au moins ses 35 ans pour vivre pleinement de ses rentes au moment où le spéculateur improvisé trader sera de retour sur les sièges de son open office.
Quelque peu provoquant comme dernier paragraphe, n’est-ce pas ? Parfois, c’est que comme ça que ça rentre. Et croyez moi, j’ai mis longtemps avant d’ouvrir les yeux sur le fait que mes investissements n’en n’étaient pas.
Vous voulez savoir si l’opération que vous venez d’effectuer est un investissement ? Demandez vous simplement si vous êtes capable de garder ce titre en portefeuille sans avoir à consulter sa valeur de marché tous les jours.
Toujours une part de spéculation dans un investissement.
On doit se rendre à l’évidence, il est rarement possible de trouver une opération à l’abri de tout risque. Il existe en effet une part spéculative dans tout investissement, c’est ça qui est excitant ! Mais le rôle de l’investisseur est de minimiser ou du moins mesurer cet aspect et se préparer financièrement et psychologiquement.
On ne maitrise jamais l’ensemble, d’autant plus avec la qualité des données auxquelles l’investisseur particulier non professionnel a accès (même si cela s’améliore avec les années).
Dans mon ouvrage « Débuter en bourse, comprendre et investir sur les marchés financiers », je parle souvent de convictions. Que votre opération soit de nature spéculative ou non, ce sont ces convictions qui vous permettront au moins d’éviter de faire des erreurs idiotes et surtout qui vous permettront de juger si l’opération en question était correctement pensée et réellement rémunératrice. Sans ces convictions, vous n’avancerez pas, vos décisions seront constamment remises en question et vous n’ouvrirez jamais les yeux sur votre véritable rentabilité.
Les 12 formes de valeur.
Enfin, pour conclure cet article, je vais mettre de l’eau dans mon vin et appuyer encore une fois les propos de Graham. Tout comme il existe des investissements intelligents, il est possible de spéculer de façon intelligente. Mais les opérations spéculatives douteuses sont nombreuses. Il cite les suivantes dans son livre : Spéculer alors que l’on croit investir. Spéculer alors que l’on n’a ni les connaissances, ni les capacités pour le faire. Mettre plus de capital dans un placement spéculatif qu’on ne peut se permettre d’en perdre
Et dire qu’il a écrit ces lignes en 1948…

À propos de l'auteur
Etienne
Co-fondateur de Sans Cravate et auteur de « Débuter en bourse », il a à coeur de transmettre sa passion pour l’économie, l’analyse des marchés financiers et la Bourse.